Russie-Ukraine : l’arme alimentaire au cœur de la géopolitique

Vladimir Poutine a reconnu les républiques séparatistes de l’est de l’Ukraine et décidé d’y envoyer des troupes au nom du « maintien de la paix ». La zone agricole Mer Noire est stratégique pour nourrir une partie des neuf milliards d’habitants en 2050.

Les tensions entre les États-Unis, l’Otan, l’Europe et la Russie, soutenue par la Chine, sont à leur comble depuis que le président russe, Vladimir Poutine vient d’envoyer ses troupes dans le Donbass, à la frontière russo-ukrainienne. Chaque pays qui passe sous son influence au détriment des pays européens augmente sa zone d’influence économique et ses échanges commerciaux, notamment agricoles. Car l’arme alimentaire devient stratégique. Avec la perspective d’une population de neuf milliards d’habitants en 2050, et un changement climatique qui accentue les sécheresses, elle permettrait aussi de mettre la main sur de précieuses ressources minières, gazières, pétrolières ou autres.
Pour régner sur le gigantesque grenier agricole de la Mer Noire, Poutine doit avoir la main sur les pays frontaliers de cette mer. Les ports, stratégiques, donnent un accès par bateau au Sud de l’Europe, au Maghreb, au Moyen Orient et jusqu’en Inde ou en Afrique de l’Est, via l’Océan Indien. Sur le flanc ouest de la Russie, l’un des principaux pays de la Mer Noire est justement l’Ukraine, à laquelle s’ajoutent la Moldavie, la Roumanie et la Bulgarie. La Russie a déjà conquis à l’Ukraine la Crimée en 2014, avec ses ports géants de Sébastopol et Yalta. La zone du Donbass, ajouterait un bout de côte de la Mer d’Azov, qui donne sur la Mer Noire. A la frontière sud, se trouvent la Géorgie et la Turquie. Moscou a déjà imposé un dirigeant pro-russe en Géorgie, lequel a jeté l’ancien dirigeant pro-européen en prison, après une mise au pas de la population. En Turquie, qui adhère pourtant à l’Otan, le président Erdogan mange dans la main de la Russie.

Des volumes gigantesques
En termes de volumes, la Russie produit 125 millions de tonnes de céréales dont 80 millions de tonnes de blé, le reste en orge et en maïs. Les exportations s’élèvent à 50 millions de tonnes en 2020. De son côté, l’Ukraine produit 70 millions de tonnes (blé, maïs) et fait jeu égal avec la Russie pour les exportations à 50 millions de tonnes. La Roumanie améliore chaque année sa production de céréales et oléagineux qui atteint environ 30 millions de tonnes. La France vient d’y envoyer des soldats. Enfin, la Bulgarie produit environ 10 millions de tonnes de céréales. Les deux derniers pays font partie de l’Union européenne qui produit 280 millions de tonnes, dont 60 pour la France, derrière les États-Unis à 446 millions de tonnes (blé, maïs, soja).
Au prix actuel des céréales, ce sont aussi des milliards de dollars qui sont en jeu en zone Mer Noire. Le président russe connaît sans doute la valeur stratégique de ces pays qui exportent dans le monde entier, Maghreb, Afrique, Chine, sans compter les marchés domestiques. En prendre le contrôle ou le placer sous influence comme au temps de l’Union soviétique serait un atout aussi considérable que l’armada militaire dans les équilibres mondiaux et les conflits locaux. L’Europe et les Américains réunis au sein de l’Otan et bien sûr la Chine en ont sans doute tout aussi conscience. La guerre des nerfs est donc à son paroxysme. Le conflit qui pointe à l’heure où ces lignes sont écrites, pourrait bien rebattre les cartes géoagricoles et géoalimentaires de la région.

 

« Un sujet de forte inquiétude »

« Un sujet de forte inquiétude ». C’est ce qu’a déclaré le 22 février, la présidente de la FNSEA. Christiane Lambert a indiqué que les sanctions prévues par l’Europe vis-à-vis de la Russie constituait « créent un risque énorme de rétorsion contre les produits européens, au premier rang desquels encore les produits agricoles », a-t-elle affirmé rappelant le précédent de 2014. En effet, après l’annexion de la Crimée par Moscou, l’Europe avait pris une série de sanctions financières et Vladimir Poutine avait riposté en imposant un embargo sur les produits agricoles, notamment laitiers. «  Nous n’avons jamais retrouvé les volumes que nous avons perdu à ce moment-là (…) et M. Poutine en a profité pour reconquérir sa souveraineté alimentaire  », a précisé la présidente de la FNSEA. Elle s’est aussi déclarée inquiète des conséquences du conflit sur le marché des céréales, car l’Ukraine représente « 12 % des exportations mondiales de blé ». La Russie, avec environ 37 millions de tonnes de blé restant le premier exportateur mondial, Christiane Lambert a jugé cette « déstabilisation de la géopolitique du blé (…) très préoccupante ».