Négociations commerciales : les distributeurs dans le viseur

Trois ans après son adoption, la loi Egalim n’a pas encore mis fin au psychodrame des négociations commerciales annuelles. Cette année encore, les ministres haussent le ton et promettent contrôles et sanctions aux distributeurs.

Les contrôles de la DGCCRF devraient s’intensifier. L’organisme examinera aussi « attentivement le respect des règles de formation des conventions annuelles ». © JC.GUTNER

Une trop faible prise en compte des hausses des matières premières agricoles tout au long de la chaîne de valeur. Agnès Pannier-Runacher, ministre de l’Industrie et Julien Denormandie, ministre de l’Agriculture ne cachent pas leurs inquiétudes, au lendemain du comité de suivi des négociations commerciales. Il suffit de regarder « les effets de l’augmentation des coûts dans certaines productions comme le lait, la viande ou les œufs, du fait de l’augmentation des matières premières ou de la sécheresse », rapporte ainsi le cabinet de Julien Denormandie. À un mois de la fin des négociations commerciales, le ministère observe « des difficultés chez certaines enseignes – pas toutes – à prendre en compte la très forte envolée des cours ».

Un mail pour dénoncer les prix bas

Alors, lors du comité de suivi des négociations commerciales, les ministres ont haussé le ton contre « certains comportements [qui] rompent en effet le consensus qui avait émergé des États généraux de l’alimentation et se heurtent aux principes de la loi tel que celui de la construction en avant du prix ». Les contrôles de la DGCCRF devraient s’intensifier. L’organisme examinera aussi « attentivement le respect des règles de formation des conventions annuelles ». Et pour accentuer encore un peu la pression, la ministre de l’Industrie a également annoncé le « lancement prochain d’une procédure visant à sanctionner une centrale internationale à la suite d’enquêtes de la DGCCRF ». Les deux ministres en charge des négociations commerciales annoncent également l’ouverture d’une adresse email (signalement@agriculture.gouv.fr) qui permettra de signaler des « prix constatés en magasin qui paraissent trop bas par rapport aux coûts de production ainsi que des problèmes d’étiquetage ». Enfin, l’hypothèse d’un recours au « name and shame » n’est pas écartée si la situation ne s’améliorait pas.

 

Les distributeurs pointent l’absence d’indicateurs

Point clé de l’inversion de la construction des prix désormais en marche avant comme le prévoit la loi Egalim, les indicateurs de coûts de production manquent encore à l’appel pour les négociations commerciales 2021. « Très souvent, il n’y en a pas ou alors il y a une liste d’indicateurs mais aucune explication sur comment les utiliser […] À tel point que certaines enseignes ont dû demander à leurs fournisseurs de compléter leur proposition », regrette Jacques Creyssel, délégué général de la fédération du commerce et de la distribution (FCD). Alors que la loi Egalim prévoit la construction des prix en marche avant en partant des coûts de production agricole, les distributeurs pointent le manque de transparence des industriels. « Il n’y a pas de négociations de premier niveau entre les agriculteurs et les industriels », déplore Jacques Creyssel. De ce fait, il assure que les distributeurs n’ont pas, en cas de hausse de tarif, la vision de ce qui redescend dans les cours de fermes.

Pas toujours pertinents

Du côté des industriels, on convient que toutes conditions générales de vente envoyées aux distributeurs pour amorcer les négociations ne font pas référence à des indicateurs. « Nous estimons que 60% de nos adhérents ont fourni des indicateurs de coûts, avec des niveaux de précision variable», concède Richard Panquiault, directeur général de l’Ilec (grandes marques). «L’immense majorité des produits alimentaires sont transformés, développe Catherine Chapalain, directrice générale de l’Ania (industries agroalimentaires). Il n’y a pas forcément d’indicateurs pour ces produits, ou alors ils ne sont pas pertinents face à la grande hétérogénéité des entreprises ».
Au-delà de la complexité des recettes des produits alimentaires, les industriels mettent en avant l’absence d’indicateurs interprofessionnels dans certaines filières. « Pour les produits laitiers ou à base de viande, les interprofessions ont travaillé sur des indicateurs. Et dans ces secteurs, les contrats font bien référence aux indicateurs interprofessionnels », assure Catherine Chapalain. Par contre, « certaines interprofessions ne sont pas avancées sur le sujet. Il y a un manque de structuration de certaines filières », soutient pour sa part Richard Panquiault. « Prendre l’absence d’indicateurs pour justifier une non-hausse des tarifs c’est fallacieux », lâche-t-il assurant que les discussions bilatérales entre les deux parties servent aussi à expliquer et objectiver les demandes de hausses.

 

Trois pistes pour apaiser les négociations

Face à des négociations commerciales annuelles entre la grande distribution et ses fournisseurs qui, malgré la loi Egalim, ne semblent pas s’apaiser, de nouvelles pistes de travail apparaissent. Le recours à la médiation, qui fait consensus tant du côté des industriels que des distributeurs, est un outil que le gouvernement compte bien promouvoir, « en mutualisant un certain nombre de moyens entre le médiateur des relations commerciales agricoles et le médiateur des entreprises s’agissant des relations avec la distribution alimentaire ».
Seconde piste, la contractualisation pluriannuelle. La commission d’examen des pratiques commerciales (CE-PEC) travaillera d’ailleurs, dès mars prochain, sur les voies et moyens du passage de négociations annuelles à des discussions pluriannuelles. Troisième piste, la mise en œuvre d’« un nouvel outil de transparence qui permettrait de connaître le prix réellement payé pour la matière première agricole à tous les étages» de la filière alimentaire et ainsi objectiver l’impact des tarifs pratiqués sur la «cour de ferme». Des travaux sont en cours sur les produits laitiers dont la filière servira de pilote avant une possible mise en place généralisée. Les avis concernant cet outil de transparence sont plus partagés. Les professionnels se disent favorables « sur le principe » ou « sur le fond », mais ne s’accordent pas sur les modalités de mise en œuvre.