Sans prise de tête

Gilles Vanden Bulcke a fait des soins des animaux en milieu rural son cheval de bataille. Dans l’une des dernières cliniques vétérinaires de l’Aube et des départements voisins, à Chaource, il milite à sa façon pour la survie de la médecine de campagne.

Les dépistages de la paratuberculose, de la BVD, des mammites bovines font partie des interventions les plus courantes de Gilles Vanden Bulcke qui consacre la moitié de son temps à soigner les animaux d’élevage.

Il n’est pas encore huit heures mais dans la salle d’attente de la clinique vétérinaire de Chat Ours, à Chaource, de sages patients attendent leur tour en cage. C’est que depuis sept heures du matin, Gilles Vanden Bulcke, l’un des deux vétérinaires de la structure, enchaîne les opérations. En tenue de chirurgien, le médecin passe d’une salle opératoire à l’autre, jonglant entre les instruments médicaux. Après la castration de trois chats et une bonne une centaine de prises de sang dans un élevage laitier, à une vingtaine de kilomètres de là, il devra encore se rendre à Auxon pour voir un bélier et faire un crochet par Pruzy pour surveiller une vache. « Tout cela dans la matinée évidemment », glisse le professionnel, dont la clinique se charge aussi des consultations pour animaux domestiques.

Des vaches aux alpagas
Vous l’aurez compris à la lecture de ces lignes, être vétérinaire en milieu rural n’est pas de tout repos. C’est que Gilles Vanden Bulcke doit partager son temps entre des soins à des animaux domestiques de plus en plus variés et les obligations de surveillance des maladies d’élevage, en plein pays coeur du pays de l’AOP Chaource. « Les nouveaux animaux de compagnie sont venus s’ajouter aux traditionnels chiens et chats », observe le vétérinaire, amené à vérifier la bonne santé de furets, de cochons d’Inde, de poules et même d’alpagas. Mais le crédo de ce vétérinaire de 56 ans, originaire de Charente et qui a rejoint le plancher des vaches auboises il y a sept ans, c’est l’élevage. Il représente la moitié de son activité. Trois quarts de son chiffre d’affaires. Un travail intense qui demande de la disponibilité, nuit et jour, 24 heures sur 24. Et une puissante dose de réactivité doublée d’une bonne capacité de résistance. Pas de quoi faire peur à Gilles Vanden Bulcke. En travaillant pour des éleveurs, le professionnel des soins ne compte pas son temps. Son métier lui demande entre 70 et 80 heures de présence par semaine, sans parler des gardes de nuit et les urgences. Une vie de fou, penseront certains. Gilles Vanden Bulcke le reconnaît : les vacances sont rares. Faute de bras, les cliniques vétérinaires alentours ont fermé leurs portes une à une à la clientèle élevage, demandant au praticien de redoubler d’effort pour accueillir des agriculteurs qui se retrouvent sans pouvoir soigner leurs animaux. Le praticien couvre désormais un large périmètre, naviguant de Tonnerre jusqu’à Sens, pour un cheptel de plus de 10 000 bovins. Mais il ne se plaint pas. « Le métier est tout à fait supportable », même, sourit le vétérinaire, passionné aussi par les soins équins.

« Faire du rural, ce n’est pas rentable »
Le problème, c’est la main d’oeuvre. Découragés par la quantité de travail, les nouveaux vétérinaires délaissent peu à peu la médecine animale rurale au profit de plus confortables, plus rentables sans doute aussi, soins d’animaux domestiques. « Tout le monde tire la sonnette d’alarme depuis trente ans sur le problème. Dans dix ans, la médecine pour l’élevage n’existera plus », déplore le président du Groupement Technique Vétérinaire de l’Aube. Le vétérinaire ne jette pas la pierre à ses confrères : « ceux qui arrêtent ont de bonnes raisons. Faire du rural aujourd’hui, ce n’est pas rentable. Le problème vient de plus haut, rendant impossible dans certains coins de France la pratique de l’élevage. » Mais alors, qu’est-ce qui fait tenir Gilles Vanden Bulcke ? La passion, une certaine conscience professionnelle et un optimisme sans faille. Le vétérinaire a ses « trucs » aussi pour gagner du temps. « Je fais beaucoup de préventif auprès des éleveurs pour éviter aux troupeaux les maladies de l’hiver. Le conseil à distance est également précieux ». Deux à trois fois par an, il organise des réunions à thème, sur la vaccination, la préparation de la mise à l’herbe. Du travail en plus, mais le praticien y tient : « j’aime rencontrer les éleveurs dans un autre cadre. On travaille en collaboration avec eux. Sauver des bêtes, ça créé des liens ». Pour tenir cet agenda de ministre des champs, le vétérinaire est accompagné depuis quelques mois par Mélanie, sa jeune collaboratrice passionnée comme lui, par la médecine rurale. Le cabinet cherche depuis six mois un troisième vétérinaire. « Cela permettrait de travailler un peu moins en flux tendus » souffle le médecin, en consultant d’un oeil, l’horloge du cabinet. Il est neuf heures. Au moment où d’autres cliniques ouvrent leurs portes pour leurs consultations quotidiennes, Gilles Vanden Bulcke entame une seconde partie de sa journée : il enfile sa combinaison et son bonnet. Direction Buchères, pour le dépistage de la paratuberculose et de la BVD sur un troupeau de vaches laitières.

© EMELINE DURAND