« L’ADN de Soufflet restera » [lecture offerte]

Jean-Michel Soufflet se veut rassurant quant à l’annonce de l’acquisition du groupe éponyme dont il est le PDG depuis 20 ans. « Le nom reste, l’indépendance aussi », indique le PDG du groupe qui compte sur la culture d’entreprise de ses équipes pour que l’ADN de Soufflet perdure même après son départ.

Crédit photo Soufflet

Comment a été perçue la nouvelle dans votre entourage ?

Les dizaines de sms et de mails que je reçois ces derniers jours sont plutôt très positifs. Globalement, les gens me disent : « On ne pensait pas que cela arriverait maintenant mais on savait que cela arriverait un jour ». Cette acquisition n’est pas une surprise : c’est un dossier sur lequel je travaille depuis deux ans, depuis que j’ai 60 ans. Je me suis toujours posé la question, les cadres de l’entreprise aussi. Les banques commençaient à se la poser. Les clients avec qui on a des contrats longs de cinq-sept ans, ils veulent également savoir que l’entreprise sera encore là. Pour la stabilité du management, c’était important. Il faut que l’histoire continue pour les 7 000 salariés, au-delà de nous.

A titre plus personnel, comment vivez-vous ce changement ?

Je suis directeur de Soufflet depuis 20 ans. Avec mon père, Michel, on a construit cette entreprise avec l’idée qu’elle perdure.  On voulait que la structure reste, que le siège social reste à Nogent, le nom aussi et il ne changera pas. La négociation s’est très bien passée. InVivo coche beaucoup de cases. Ma première exigence était qu’on laisse un bureau à mon père, ce qui est acté. InVivo n’est pas une famille, c’est vrai, mais j’ai constaté que leur culture d’entreprise est beaucoup plus proche de la nôtre, de notre ADN que certaines familles de l’agroalimentaire que j’avais identifiées dans le monde entier. J’ai rencontré des entreprises qui n’avaient de familial que la structure du capital et qui était dans leur approche comme un fonds prédateur. Qui voulait garder une partie de l’entreprise et revendre le reste ce qui allait à l’opposé de ce que l’on voulait. Avec InVivo, on est aussi dans le capitalisme familial bienveillant. Ce n’est pas une vente d’entreprise c’est une transmission. D’ailleurs à la demande d’InVivo, je vais rester pendant deux ans au-delà de la reprise pour que les choses se passent bien, pour les équipes comme pour les clients. C’est une transition qui va se passer gentiment dans le temps. C’est le bon choix pour préparer l’avenir du groupe.

Cette opération présente aussi l’avantage de préserver les instances décisionnaires en France…

Cette solution franco-française a en effet été saluée par les ministres Le Maire et Denormandie, et d’autres aussi, à un moment où, notamment, Carrefour se fait convoiter par des Canadiens. Et il n’y aura pas de plan social, ce sont des signaux très positifs.

« Ce n’est pas une vente, c’est une transmission d’entreprise. »

Comment vont s’articuler les différentes activités des deux groupes ?

InVivo n’est pas une coopérative, ils ne sont pas sur le métier de la collecte de céréales auprès des agriculteurs. On gardera sur ce point notre indépendance. Ils sont producteurs de semences avec Semences de France, c’est important ; il y a des passerelles possibles. Ils ont leurs centrales d’achat ce qui permettra peut-être à Soufflet d’améliorer les achats de produits de protection de plantes et de le répercuter à nos clients. Ils font de la bio protection et de la bio fertilisation et ça, ça nous va bien pour nos agriculteurs. Il y a pas mal de complémentarité dans les métiers. Ces activités réunies dans le pilier InVivo Bioline s’interconnectera forcément avec Soufflet Agriculture. Pour le second pilier de négoce de vin InVivo Wine, il y a de fortes synergies à attendre avec Soufflet Vigne peut-être pour permettre à nos viticulteurs de commercialiser une partie de leur production. Pour le retail (les magasins Jardiland, Frais d’ici, Bio&co), il y a des choses à faire avec Pomme de Pain, notamment en périphérie des villes. Le reste du groupe Soufflet est encore en discussion de leur côté mais selon moi, il pourrait être un quatrième pilier d’InVivo, demain. Ils n’ont pas d’activités collecte ni d’industries, malteries, meuneries. Ce sont des nouveaux métiers pour eux qui seront complémentaires, c’est ce qui est intéressant.

Avez-vous obtenu des garanties sur la pérennité des 6 800 emplois du groupe Soufflet ?

Je pense qu’elle n’est pas si mal. Thierry Blandinières, le directeur général et Philippe Mangin, président du Groupe InVivo m’ont dit devant Bruno Le Maire et Julien Denormandie (respectivement ministre de l’Economie et des Finances et ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation, NDLR) qu’il n’y avait pas de plan social prévu, qu’ils reprenaient l’intégralité du groupe.

Ce rachat va marquer la fin d’un chapitre notamment pour les agriculteurs aubois avec qui, géographiquement comme historiquement, une relation de confiance s’était instaurée. Que souhaitez-vous leur dire ?

Nos équipes vont rester. Certains sont là depuis très longtemps, ils sont piquousés à la culture de l’entreprise, au service au client et attaché à ses valeurs. C’est quelque chose qui est dans leur ADN du groupe depuis longtemps. Mon rôle sera de veiller à ce que cette culture perdure. Mon père et moi avons construit ce groupe pour qu’il reste même après nous et transmettre cette culture du dévouement au client. L’entreprise restera de façon indépendante par rapport aux autres coopératives ; on aura comme concurrents des coopératives environnantes comme on a aujourd’hui. InVivo exporte des surplus agricoles de coopératives françaises. Thierry Blandinières m’a dit que cela fera du sens que le négoce se rapproche plus de la terre, c’est-à-dire entre les lignes, ramener de l’activité ici à Nogent, et pérenniser les choses. J’espère que nos salariés, nos clients nos fournisseurs suivront. Pour moi, ce n’est pas une vente, c’est une transmission d’entreprise.

Comment vont s’organiser les choses dans les prochains mois ?

On doit signer un accord fin mars et les instances compétentes en matière de contrôle des concentrations nous ont parlé de huit à douze mois avant le closing. Nos avocats sont confiants, ils pensent que cela pourrait même aller un peu plus vite avec un closing avant la fin de l’année, entre octobre et décembre.

Quel va être votre rôle après l’acquisition ?

Cela reste à définir, ce qui est sûr c’est qu’il ne peut y avoir qu’un seul patron. Il n’a pas encore été retenu ; je ne sais pas si ce sera une personne de mes équipes ou une personne en externe et ce n’est pas moi qui déciderai in fine. Évidemment je préfèrerais que ce soit quelqu’un de chez Soufflet. Je serai là pour assurer la transition : avec mon père, nous avons tout fait pour que ce groupe grandisse et se développe. On n’a pas cherché à optimiser notre sortie : on vient de s’installer dans nos nouveaux bureaux, on a continué à investir sur des malteries en Ethiopie, des stations de semences en Roumanie ou le moulin de Corbeilles. On s’est comporté en bon père de famille jusqu’au bout.

© Propos recueillis par Emeline Durand