Le cidre d’Hotte s’en tient au jus

Tiraillée entre des ventes en chute libre à cause du contexte mondial et une sécheresse persistante, l’exploitation cidricole de la Ferme d’Hotte va amplifier sa diversification autour des jus colorés. Mais réfléchit à des solutions à plus long terme.

Cette année, plusieurs milliers de bouteilles de bourru seront commercialisées. « Un produit typique de la sécheresse », atteste Gérard Hotte. © E. DURAND

C’est un pur produit de la sécheresse. Entre les mains de Gérard Hotte, producteur de pommes à cidre bio à Eaux-Puiseaux, dans le Pays d’Othe, la bouteille ferait presque office d’emblème tant elle résume la philosophie de l’exploitant. Pour faire face à une montée rapide de la température de ses pommes cette année – qui accélère le processus de fermentation – l’exploitant agricole aubois a fait un choix tranché. Il a décidé de produire davantage de bourru, ce nectar pétillant, ni tout-à-fait jus, ni tout-à-fait cidre. Quelques milliers de bouteilles, pour, dit-il, sauver une partie de sa récolte annuelle. Car cette année, le rendement n’est clairement pas au rendez-vous dans la forêt d’Othe.
Dans ses vergers, Gérard Hotte sillonne les allées à la recherche de tâches rouges ou vertes. Sur les branches de ses pommiers, moitié moins de pommes. Précoce, le ramassage 2020 débuté mi-septembre sera cette fois bien loin des 250 à 300 tonnes récoltées en moyenne. La faute à une sécheresse persistante qui en fait voir de toutes les couleurs au producteur. « Non seulement les pommes sont plus petites, donc plus concentrées en sucre mais on n’a plus assez de temps entre la récolte et la transformation », constate l’agriculteur. Pour y faire face, Gérard Hotte a investi cette année 35 000 euros dans des cuves réfrigérées. Arrivé il y a trois ans sur l’exploitation familiale qui emploie aujourd’hui cinq salariés, son fils, Théo, a modernisé la chaîne d’embouteillages avec du matériel plus performant, pour gagner du temps et conditionner plus rapidement les 200 000 bouteilles produites chaque année.

L’accélérateur Covid
Cette course contre la montre a pris un autre visage depuis le printemps. Avec la crise du Covid-19, la Ferme d’Hotte s’attend à perdre 60 % de son chiffre d’affaires d’ici fin décembre. C’est l’ensemble de la stratégie de marché qui est à revoir. « On devait développer l’export, aller sur des salons en Allemagne, tout s’est arrêté », s’inquiète Gérard Hotte. Certains restaurateurs parisiens, des clients historiques de l’entreprise, ont mis la clé sous la porte. Un contrat avec un parc d’attraction voisin n’a pas non plus été reconduit. Pour la première fois en 25 ans d’existence, la Ferme d’Hotte n’a pu ouvrir ses portes cette année. L’activité touristique, une part non négligeable de l’activité de l’entreprise est à l’arrêt. Le musée du cidre qui jouxte la boutique est resté fermé, le deuxième petit train touristique acheté en début d’année pour les visites guidées n’a pas servi. Loin de se laisser abattre, le président du syndicat cidricole du Pays d’Othe, qui compte une dizaine de producteurs dans l’Aube et l’Yonne, voit en cet épisode comme un accélérateur de croissance. « Dans notre profession, le temps est long. On est habitué à mettre en place des choses qui ne se verront pas avant dix ans. Ce virus modifiera profondément les habitudes de consommation : 2020 est une année de rupture, nous devons réfléchir dès maintenant à faire preuve de résilience et à nous adapter. »

Pommes sanguines
Dans le viseur du producteur, la diversification poussée à son extrême, dans le respect de la typicité du produit local. Gérard Hotte, attaché au patrimoine cidricole local, multiplie les variétés historiques de pommes à cidre. Il en cultive déjà 60. D’ici la fin de l’année, il plantera un hectare supplémentaire de pommes sanguines, pour développer une gamme en particulier : celle des jus de couleur. Ces dernières années, la production de jus a dépassé celle du cidre, inversant la tendance de départ, notamment celle des jus de pommes assemblés à d’autres fruits ou plantes. Jus d’ortie, macéras au romarin, jus de pomme pétillant sans alcool, la Ferme d’Hotte multiplie les gammes, les couleurs, les goûts. La diversité variétale au service de la qualité, du patrimoine local et non de la performance, c’est ce que souhaite l’entreprise. Elle a aussi anticipé de nouveaux modes de consommation, sur fond de bouteilles en verre petit format et de vente en vrac. Elle est là, la résilience de la Ferme d’Hotte. Avec les sécheresses à répétition, Gérard Hotte est sans doute dans le vrai. Cela ne suffira pas. « On n’en est plus à sauvegarder les récoltes, insiste le producteur, il faut sauver les pommiers. » Face à l’arrivée de nouveaux insectes, comme les méligèthes sur les fleurs de pommiers ou la chenille processionnaire, il faut repenser l’organisation des vergers. Revoir les densités de plantation, planter en circulaire, faire des ombres… Gérard Hotte n’exclut aucune piste. A condition qu’elle ne dénature pas son produit.

© EMELINE DURAND

La filière en appelle aux maires

Frappée de plein fouet par la crise, la filière cidre réclame des mesures d’urgence fortes et notamment de la solidarité territoriale. Elle demande aux 6 325 maires de Normandie, Bretagne, Pays de la Loire et de l’Oise – les principaux bassins de production – d’encourager les ventes de cidres (et de poiré) élaborés par les producteurs locaux et ce sans attendre « les fêtes de fin d’année ou la période traditionnelle de la galette des Rois », explique Jean-Louis Bénassi, directeur de l’interprofession cidricole (Unicid). La demande intervient dans un contexte facilitant : un décret du 22 juillet 2020 simplifie en effet les passation de marchés publics pour les denrées alimentaires dont la vente a été perturbée par la crise du Covid-19.

 

Championne du monde

La France a le plus grand verger spécialisé au monde avec plus d’un millier de variétés de pommes à cidre sur 9 000 hectares pour 250 000 tonnes de fruits produits en moyenne chaque année dans différents bassins repartis sur le territoire. Ces fruits sont essentiellement utilisés pour l’élaboration des cidres (125 000 tonnes), mais aussi des autres produits cidricoles que sont le jus de pomme (60 000 tonnes), les eaux-de-vie de cidre dont le Calvados (40 000 tonnes), le cidre de glace (cidre non effervescent, moelleux, obtenu par concentration par le froid), le pommeau et le vinaigre de cidre. (Source Interprofession Cidres de France)