« Le vote de la raison »

Les députés ont adopté le 6 octobre le projet de loi relatif à la possibilité d’utiliser des néonicotinoïdes pour enrober les semences de betteraves sucrières de 2021 à 2023. Une bonne nouvelle pour Alain Carré président de la Confédération Générale des Betteraviers (CGB) de l’Aube, qui ne doit pas faire oublier la question des prix.

Pour Alain Carré, le projet de loi voté est une réelle avancée. « Mais il faut maintenant que nos coopératives nous rémunèrent à un juste prix ». © E. DURAND

Le projet de loi a été, comme il était pressenti, voté par les députés. C’est une victoire pour la CGB ?

La raison l’a emporté et on peut s’en féliciter. On remercie les parlementaires qui ont compris notre problématique de terrain. On se félicite mais il y a encore du travail à faire. On a pris des engagements et on va les tenir. Le projet de loi prévoit des conditions strictes : baisse drastique de 25% de la matière active sur la semence à l’hectare, engagement de ne pas mettre de cultures mellifères l’année suivante, laisser des bandes fleuries en plus. Et en plus il y a la création d’un comité de suivi, ouvert à tout le monde (agriculteurs, écologistes…) pour voir les avancées sans oublier la recherche phénoménale qui doit avancer d’ici trois ans.

Cette décision est un signal très positif pour les betteraviers qui hésitent à reconduire leurs surfaces pour l’an prochain. D’après-vous les emblavements seront-ils maintenus ?

L’année a été tellement difficile – dans certaines régions, on parle de 35 à 40 tonnes à l’hectare, des régions sont couplées à de mauvais rendements en céréales – il faut espérer que financièrement les exploitations puissent tenir jusqu’au printemps suivant.  Cette décision est une bonne chose car elle assure la pérennité de la culture. Nous en tant qu’agriculteur on est là pour produire et on va le faire.  Mais il ne faut pas oublier qu’il nous faut en face, un revenu agricole. Pour la CGB il faut maintenant que nos coopératives nous rémunèrent à un juste prix. Depuis la fin des quotas, on est dans le trou. Alors oui, les exploitations vont continuer de produire de la betterave, sans doute un peu moins dans le département de l’Aube à cause des rendements faibles. On a deux grosses coopératives : pour Tereos, les engagements se poursuivent. Et on est en fin d’engagement pour Cristal Union. D’ici fin octobre, les producteurs vont choisir de reprendre ou diminuer leurs emblavements. Sans l’autorisation des néonicotinoïdes on aurait eu une baisse drastique des surfaces. Cristal Union a annoncé des prix nettement plus rémunérateurs cette année, c’est un signe d’encouragement.

Les questions de sécheresse et de prix constituent des freins alors que paradoxalement, le marché est très porteur…

Le marché on l’a. Mais il faut être vigilant  vis-à-vis de nos acheteurs, les grands groupes agroalimentaires, qui tirent les prix trop bas. La répartition de la marge doit être rééquilibrée. C’est cela que l’on va dénoncer, pour nos sucreries et pour nos agriculteurs.

L’épisode néonicotinoïdes a mis en lumière la filière betteraves. C’est finalement un mal pour un bien ?

Le retour des néonicotinoïdes, personne n’y croyait. La raison l’a emporté. Et cela a aussi permis de parler de note filière. On n’a jamais autant parlé avec les écologistes les apiculteurs, c’est le côté positif. Maintenant on va ouvrir le dossier d’indemnisation pour l’année en cours. Il y a tout à faire. L’indemnisation sera plafonnée à 20 000 euros par exploitation. Même si cela ne comblera pas la perte pour les plus grosses exploitations, on sauve les meubles avec ces montants.

© Propos recueillis par Emeline Durand

 

Vif débat à l’Assemblée Nationale

Les députés ont adopté, le 6 octobre, le projet de loi par 313 voix pour, 158 contre et 56 abstentions, en vote solennel. Le texte créé également un conseil de surveillance et interdit, sur des parcelles où ont été utilisés des néonicotinoïdes, d’implanter des cultures attirant les abeilles afin de ne pas les exposer. C’était d’ailleurs un des engagements de la profession agricole, en particulier de la CGB. Cette dérogation ne vaut que pour les betteraves sucrières a insisté le Gouvernement. Cependant, cette formulation n’a pas été inscrite dans la loi par crainte d’une censure du Conseil constitutionnel.

« Honte à vous »

Lors des débats qui se sont déroulés dans la nuit du 5 au 6 octobre (ils se sont achevés à 02h15) le ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation Julien Denormandie avait indiqué : « C’est un texte difficile, important, qui ne veut pas opposer économie et écologie (…) La question est celle de notre souveraineté ». Conscient que tous les députés soient contre la réintroduction de ce pesticide, même sous forme d’enrobé, le ministre a précisé qu’« aujourd’hui il n’existe pas d’alternative » chimique ou agronomique suffisamment efficace. Le député Christian Jacob (LR, Seine-et-Marne) a, pour sa part, estimé qu’il « ne faut pas être dans le dogme et faire en sorte que la France reste un grand pays agriculteur ». Par la voix de Delphine Batho (EDS, Deux-Sèvres), les écologistes ont fustigé la « régression » et le « renoncement » de la position gouvernementale. Le ministre de l’Agriculture Julien Denormandie lui a assez sèchement répondu : « Honte à vous de soupçonner la parole d’un ministre alors que vous-même avez été ministre ! […] Vous parlez de conscience, mais où était la vôtre en juin 2013 avec la PAC qui a mis fin aux quotas ? ». Montant d’un cran, il a ajouté : « Une écologie du chacun pour soi, ce n’est pas le sens de l’écologie que j’ai enracinée en moi ». Le projet de loi sera examiné par la Commission des affaires économiques du Sénat le 21 octobre avant un vote en séance le 27 octobre.