Un potager géant mêlant production agricole et énergétique

En ouvrant il y a un an son espace de cueillette, dont la vente repose exclusivement sur la récolte par les clients, Alexandre Dezobry fait le pari de la synergie entre l’agriculture et les énergies renouvelables dans un projet ancré dans son territoire.

A côté des traditionnelles tomates, courges, rhubarbe, fraises… La Cueillette proposera aussi du maïs doux, invitant les consommateurs à cuisiner des produits plus inédits. ©E.DURAND

Les choux, les framboises, fèves, piments et autres fruits, légumes et fleurs, ne sont pas encore tous sortis de terre. Mais au sein de la Cueillette de Troyes l’Espérance, à Mesnil-Sellières, les salariés s’activent. L’ouverture de la récolte des fraises, samedi dernier, sonnait un peu comme la rentrée des classes pour le site. « Il faut que tous nos prix soient affichés à l’entrée sur le tableau, que la signalétique destinée à guider les visiteurs soit installée, que les noms des produits soient inscrits sur des étiquettes en bord de champ », commente Alexandre Dezobry.
En marge d’une visite de terrain organisée par la Chambre d’agriculture de l’Aube (lire encadré), l’agriculteur, qui a repris la ferme familiale de 63 hectares il y a deux ans, a détaillé face aux maires du territoire Lac et Briennois, les arguments qui ont fait pencher la balance vers la création d’un modèle inédit dans le secteur : celui d’un site de maraîchage dont le principe de vente repose exclusivement sur la cueillette par les clients. « Notre génération maîtrise de moins en moins tout ce qui se passe : quand on n’a plus de prise sur la météo, le prix de vente, celui des intrants, comment pérenniser notre revenu » ? Cette question, l’ex-ingénieur en agriculture, doté d’une solide expérience dans le secteur bancaire, se l’est posée avant de reprendre l’exploitation. Et s’il a pris en considération les dimensions techniques, économiques et financières du projet, il a également tenu compte d’autres facteurs : « j’ai regardé ce que je pouvais faire en fonction de l’endroit où je me trouvais. Ici on est en bord de route, aux portes de Troyes. J’avais envie d’accueillir du public, d’un lieu de vie, de faire de la vente directe et je m’intéressais aussi aux énergies renouvelables ».

Inertie
Deux ans après son installation, Alexandre Dezobry remplit aujourd’hui avec un tel projet, la plupart des objectifs qu’il s’est fixé. Sur un site de dix hectares dont sept en maraîchage et verger, l’agriculteur vient de construire un bâtiment doté de panneaux photovoltaïques lui permettant de vendre son électricité, en moyenne 360 kilowatt-crète, l’équivalent de la production d’électricité pour 85 foyers. Un hangar imposant, de taille critique, pensé comme une sorte de centre névralgique pour organiser le stockage comme la partie vente puisque la future boutique, provisoirement installée un peu plus loin, y sera aménagée.
Une installation pensée, on l’a compris, pour aller chercher un revenu complémentaire, qui a permis à l’exploitant d’embaucher tout de suite du personnel. La partie maraîchage fait travailler six personnes en plus du chef d’exploitation et d’une aide familiale. Des emplois stables et à temps plein. Entre la partie cultures, l’accueil du public pour la vente et bientôt l’approvisionnement des casiers qui seront installés le long de la route et disponibles sept jours sur sept, « on dispose d’une certaine inertie permettant de faire vivre le site toute l’année », certifie Alexandre Dezobry.

Premier verger labellisé bas carbone
Côté pratiques culturales, l’exploitant a choisi des méthodes de productions durables. Après une première saison l’an dernier en conventionnel, d’ici deux ans, l’ensemble de ses productions devraient disposer de la certification Haute Valeur Environnementale (HVE). Le verger d’un hectare, planté cet hiver, compte près de 2 500 arbres. Il est une autre composante de la stratégie de synergie entre production agricole et énergétique chère à l’agriculteur. « On considère que les arbres vivent quinze ans et peuvent capter 41 tonnes de carbone, ce qui nous a permis d’être le premier verger labellisé bas carbone de l’Aube », dévoile Alexandre Dezobry. Une première étape qui en appelle d’autres. L’exploitant réfléchit à installer des panneaux photovoltaïques verticaux qui conjugueraient production d’énergie et protection contre les aléas climatiques. « Cela se fait déjà dans d’autres cueillettes, notamment sur les framboisiers ». De quoi, là encore aller gagner de la valeur ajoutée, et réinvestir, souhaite l’agriculteur, dans du matériel, notamment par l’irrigation.
D’autres axes de développement sont en réflexion. La Cueillette compte étoffer son partenariat avec des producteurs locaux, dont certains sont déjà présent dans la boutique de vente du site de Mesnil-Sellières. Pour lutter contre le gaspillage, des paniers anti-gaspi, marchands ou non, ont déjà été proposés l’an dernier. Alexandre Dezobry aimerait aussi transformer les fruits non récoltés par les clients, en jus, dans un espace pensé comme un lieu de vie. « Au-delà du projet de reprise d’exploitation et de l’acte de consommer, ce qui m’intéresse, c’est que la Cueillette soit un espace de rencontres entre générations, un lieu de pédagogie aussi. » Visites d’écoles et de maisons de retraites s’inscrivent dans la dimension sociale de ce potager à ciel ouvert.
Emeline Durand

A quand une unité de transformation des légumes ?

Conditionner et transformer les légumes de producteurs locaux pour alimenter les cantines des établissements scolaire aubois, c’est l’idée du Projet Alimentaire Territorial (PAT). Un dispositif mis en place par l’Etat pour soutenir l’installation d’agriculteurs, le développement des circuits-courts et des produits locaux dans les cantines, engagé dans l’Aube par le Conseil départemental avec l’appui de la Chambre d’agriculture. Depuis son lancement l’an dernier, une étude auprès de 63 producteurs en circuit traditionnel, court et mixte a été menée. Elle révèle que 24 d’entre eux pourraient être intéressés pour alimenter la restauration collective d’écoles primaires et de collèges du département, à condition de structurer le projet, notamment par la contractualisation avec les producteurs engagés dans la démarche. « Sur le territoire Lacs et Briennois, on aurait besoin de 40 tonnes de légumes et de 40 tonnes de fruits pour couvrir les besoins des écoles, soit environ 400 000 repas par an », comptabilise Louise Legrain, chargée de mission alimentation à la Chambre d’agriculture. Pour y parvenir de façon durable, pendant toute l’année, une usine de transformation et conditionnement de légumes est à l’étude, en lien avec Troyes Champagne Métropole et le lycée agricole Charles Baltet de Saint-Pouange.

 

Ceux qui se bougent

Aller à la rencontre de ceux qui se bougent pour l’agriculture. C’est le credo des Chambres d’agriculture de l’Aube et de la Haute-Marne qui organisaient courant mai, sur chacun des sept territoires identifiés, une visite de terrain. L’occasion d’inviter les élus et les collectivités à découvrir ce que l’agriculture pense et met en place près de chez eux. « Oui dans l’agriculture, appréciait Joël Hospital, vice-président de la Chambre d’agriculture de l’Aube, le 25 mai pendant la visite de la Cueillette, on a encore des jeunes qui entreprennent, qui tentent l’aventure, qui ont envie. A nous, organisations professionnelles agricoles et politiques, de donner envie aux autres de le faire ».
Sur le territoire Lacs et Briennois, rappelait Jean-Luc Follot, directeur de l’agence territoriale, 25 dossiers d’installation ont été déposés l’an dernier et depuis début 2023 déjà neuf, confirmant le regain de projets sur le territoire, en maraîchage notamment mais aussi dans les énergies renouvelables, méthaniseurs et photovoltaïque en tête.